Ce texte est une petite pensée qui est venue il y a déjà quelques mois, je l'ai reprise un peu pour ce jour si spécial. Bon Croziversaire les gens, bon vent, où que vous soyez, quoique vous fassiez :)
Une
partie de moi sera toujours là bas, une partie de ce vif, de mon essence de
vie, en bottes et gore-tex, assise en haut du mont Branca à regarder vers la
base, à regarder vers l'île de l'Est, à contempler le passage des nuages, à
sentir la pluie, la grêle, la neige qui martèle le visage en attendant que le
soleil ne revienne. Parfois un notodiscus la traverse, et ça prend du temps,
ces escargots ne vont pas très vite. Mais sa présence renforce le lien.
Une ligne tirée vers moi, un lien à travers l'espace.
Une partie de moi reste debout,
arrachée par le vent, en haut de ce col 600, à chaque passage de ce
plaque-poumon, de cet arrache-genou, ce créateur d'informations, à contempler béat la grande coulée, la
queue du dragon et, plus bas, Pointe Basse. Ou à n'y rien voir, perdu dans les
nuages, machonnant une tranche de cake aux fruits. Une autre reste, rasée par le ballet des albatros fuligineux, au pied
du cap vertical pendant qu'une autre encore prend le soleil sur la crête de
l'Alouette à s'imprégner, de la grandeur des lieux, des Branloires et de la
Hébé. Deux se trouvent en mer, et contemplent chacune, chargées d'émotions
très différentes, deux faces de l'île. La première, encore verte d'été, admire
avec espoir les falaises de cap vertical pendant que la seconde, qui a vécu le
vent et l'hiver, pleure cette île qu'elle quitte alors qu'elle s'éloigne de
Bus.
Une autre enfin, parcourt cette
base, boule de vif parmi tant d'autres, d'autres couleurs, d'autres textures,
les vôtres, peut être, les vôtres, sûrement, mais pas que, et effectue encore,
toujours et pour toujours, ces trajets du quotidien, de ma chambre à la
vie-com, de la vie-com au biomar, du biomar à la salle de sport, à la salle de
musique, descend à la plage, monte au Branca, et parcourt l'île d'un point à un
autre, se prend les bourrasques sur le plateau des pétrels, glisse, tombe, se
rattrape et se relève dans la descente du 390, se réchauffe et se réjouit à
l'abribus, attend fébrile de voir les îles froides, du haut du Mascarin, boit,
et se mouille les pieds à chaque rivière… Dans mes traces, dans nos traces, se
nourrissent de nos traces, ces liens mouvants, ces traces de nous, de la
présence de notre absence. Ces parties de mon vif que j'ai laissées là bas, mais aussi ailleurs, que
je sens vibrer par la force de leur réalité, me permettent d'avancer, elles me
construisent, m'aident à me définir, encore, toujours. Je nourris ces liens à
chaque nouvelle rencontre, à chaque regard qui brille quand je parle de notre
île, elles reprennent corps, à travers moi, et à travers d'autres, trouvent de
nouveaux hôtes, qui les imaginent. "Jusqu'à tes vieux jours", me dit
mon père. "Jusqu'à tes vieux jours, tu feras briller les yeux de ceux à
qui tu parleras de ton expérience. Tu as été chanceux de vivre ça... C'est
comme raconter une guerre, on n'y échappe pas. Tu raconteras encore bien des
fois cette expérience qui fut la tienne."
Revenir de Crozet, c'est devenir passeur, compteur, tisseur d'histoires, de souvenirs et de rêves...
Parfois les lignes vrillent un
peu, et font des noeuds, ça arrive, me tirent en arrière, comme par les nuits de grand vent, quand
je l'écoute taper sur mon toit, allongé dans mon lit, au chaud dans ma vie
d'abrité de métropole, ou quand, le temps d'un rêve, je refais un transit... C'est
la nostalgie, l'appel du vent. Mais la nostalgie n'appelle pas de malaise, et
elle ne doit pas. La nostalgie doit réchauffer, en résonnance avec toutes ces
parties de soi disséminées aux endroits importants, créature bienveillante, devant une
photo, dans une situation qui nous tombe dessus, impromptue, une odeur, une
texture du vent, une humidité portée qui nous projette vers une balise jetée
quelque part loin, très loin de nous, inattendue, et surtout, ne jamais appeler
le regret, juste l'accueillir, lui ovrir les bras, comme à un vieil ami perdu de vue. Crozet résonne
fort en moi, plus fort que bien d'autres endroits. Les liens que j'ai tissés
là-bas, les parts de mon vif que j'y ai laissé, ont formé une trame vibrante et
multicolore, une multitudes de voix qui chantent. Parfois l'une d'entre elle
entonne, seule, le chant d'un souvenir. Parfois c'est un chœur qui fait
ressortir l'ensemble, l'expérience entière, et là, comme à chaque fois, j'y
pense, et je souris.
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