Hey,
ça fait longtemps que je ne t'ai pas écrit. Pas que je ne pensais pas à toi, tu es toujours là quelque part, dans mes pensées. Mais il y avait Emmanuel Lepage à la radio, et ça m'a replongé dix piges en arrière, et là j'ai pensé à toi, ça a fait un nœud dans mes balises mémorielles, et ça m'a reprojeté vers toi.
Tu ne me manques plus, tu sais? Le manque et la tristesse, que je pouvais ressentir en pensant à toi, sont devenus de la mélancolie, et la mélancolie fait place aux souvenirs, elle leur ouvre les bras et les accueille. J'ai parlé de toi, aussi, récemment, et ça m'a fait chaud au cœur de voir l'effet que tu fais toujours autant. Retrouver la casquette de héro polaire, le temps d'une discussion à Bologne, ça m'a fait bizarre, et plaisir aussi, ça faisait longtemps que je ne m'étais pas redéfini aussi simplement qu'ancien hivernant, ça a quelque chose d'étrangement rafraichissant. Tu fais toujours cet effet quand je parle de toi, à faire briller les yeux, à faire à la fois peur et rêver. Je rêve toujours de revenir, tu sais? Mais c'est un rêve, un espoir vain et lointain, plus qu'un projet. J'ai d'autres liens, d'autres lignes et d'autres accords, plus proches, plus puissants, à faire sonner maintenant, autres que ceux du vent et de la pluie. J'entends toujours ta voix qui chante dans le vent, je te sens toujours dans la pluie, et ici, maintenant que je vis en Suède, j'ai la neige pour me parler de toi et me rappeler ton souvenir.
Et j'ai cette nouvelle boule de liens à entretenir, c'est une âme curieuse, joyeuse et sensible. Tu le trouverais formidable, même si ton joug ne le ferait pas rire longtemps. Je lui parle de toi, bien sûr, des albatros et des manchots, et de la pluie et du vent, et de celui que j'étais quand j'étais avec toi.
J'espère que tu vas bien, que tes nombreux et nouveaux passagers te vivent, t'aiment et t'admirent autant que j'ai pu le faire. Le tatouage de mes transits de contrevent sur ma jambe s'est un peu étalé, avec le temps, mais je parcours toujours ces chemins, dans mes rêves, des longues marches qui m'arrachaient les genoux, et de tes paysages sans pareils. ça me fait plaisir de t'écrire aussi, et d'écrire tout cours, à vrai dire. Je ne trace plus trop de mots pour autre chose que la science, ces temps-ci, mais ça m'a fait du bien de t'écrire ces quelques mots. Je ne sais pas si c'est à toi que je continuerai de lancer mes lignes de souvenirs et de sentiments, mais j'espère reprendre au moins cela, confier à des lettres les mots que mon esprit mâchonne et pense doucement.
Je sais que tu es toujours là, que tu ne bouges pas, ni dans les vagues des gris et bleu de l'Austral, ni dans mes souvenirs. C'est rassurant, cette stabilité, il y a dans l'immuabilité une sorte d'ancrage, temporel et spatial, qui me fait du bien.
Porte toi bien, et jusqu'à la prochaine fois.