jeudi 22 août 2024

Message d'outre-temps

 Hey, 

ça fait longtemps que je ne t'ai pas écrit. Pas que je ne pensais pas à toi, tu es toujours là quelque part, dans mes pensées. Mais il y avait Emmanuel Lepage à la radio, et ça m'a replongé dix piges en arrière, et là j'ai pensé à toi, ça a fait un nœud dans mes balises mémorielles, et ça m'a reprojeté vers toi. 

Tu ne me manques plus, tu sais? Le manque et la tristesse, que je pouvais ressentir en pensant à toi, sont devenus de la mélancolie, et la mélancolie fait place aux souvenirs, elle leur ouvre les bras et les accueille. J'ai parlé de toi, aussi, récemment, et ça m'a fait chaud au cœur de voir l'effet que tu fais toujours autant. Retrouver la casquette de héro polaire, le temps d'une discussion à Bologne, ça m'a fait bizarre, et plaisir aussi, ça faisait longtemps que je ne m'étais pas redéfini aussi simplement qu'ancien hivernant, ça a quelque chose d'étrangement rafraichissant. Tu fais toujours cet effet quand je parle de toi, à faire briller les yeux, à faire à la fois peur et rêver. Je rêve toujours de revenir, tu sais? Mais c'est un rêve, un espoir vain et lointain, plus qu'un projet. J'ai d'autres liens, d'autres lignes et d'autres accords, plus proches, plus puissants, à faire sonner maintenant, autres que ceux du vent et de la pluie. J'entends toujours ta voix qui chante dans le vent, je te sens toujours dans la pluie, et ici, maintenant que je vis en Suède, j'ai la neige pour me parler de toi et me rappeler ton souvenir. 

Et j'ai cette nouvelle boule de liens à entretenir, c'est une âme curieuse, joyeuse et sensible. Tu le trouverais formidable, même si ton joug ne le ferait pas rire longtemps.  Je lui parle de toi, bien sûr, des albatros et des manchots, et de la pluie et du vent, et de celui que j'étais quand j'étais avec toi. 

J'espère que tu vas bien, que tes nombreux et nouveaux passagers te vivent, t'aiment et t'admirent autant que j'ai pu le faire. Le tatouage de mes transits de contrevent sur ma jambe s'est un peu étalé, avec le temps, mais je parcours toujours ces chemins, dans mes rêves, des longues marches qui m'arrachaient les genoux, et de tes paysages sans pareils. ça me fait plaisir de t'écrire aussi, et d'écrire tout cours, à vrai dire. Je ne trace plus trop de mots pour autre chose que la science, ces temps-ci, mais ça m'a fait du bien de t'écrire ces quelques mots. Je ne sais pas si c'est à toi que je continuerai de lancer mes lignes de souvenirs et de sentiments, mais j'espère reprendre au moins cela, confier à des lettres les mots que mon esprit mâchonne et pense doucement. 

Je sais que tu es toujours là, que tu ne bouges pas, ni dans les vagues des gris et bleu de l'Austral, ni dans mes souvenirs. C'est rassurant, cette stabilité, il y a dans l'immuabilité une sorte d'ancrage, temporel et spatial, qui me fait du bien. 

Porte toi bien, et jusqu'à la prochaine fois. 


vendredi 4 décembre 2015

Et de 3 !

Trois ans, déjà, depuis mon arrivée sur la Possession... Trois ans, et depuis, tant d'endroits vus, tant de belles rencontres sur mon chemin... Mais on y revient, par moment, et quand on croise au détour d'un couloir de nouveaux hivernants sur le départ, on en pousserait bien un dans l'escalier, juste pour voir... ;)

Ce texte est une petite pensée qui est venue il y a déjà quelques mois, je l'ai reprise un peu pour ce jour si spécial. Bon Croziversaire les gens, bon vent, où que vous soyez, quoique vous fassiez :)


Une partie de moi sera toujours là bas, une partie de ce vif, de mon essence de vie, en bottes et gore-tex, assise en haut du mont Branca à regarder vers la base, à regarder vers l'île de l'Est, à contempler le passage des nuages, à sentir la pluie, la grêle, la neige qui martèle le visage en attendant que le soleil ne revienne. Parfois un notodiscus la traverse, et ça prend du temps, ces escargots ne vont pas très vite. Mais sa présence renforce le lien. 

Une ligne tirée vers moi, un lien à travers l'espace.

Une partie de moi reste debout, arrachée par le vent, en haut de ce col 600, à chaque passage de ce plaque-poumon, de cet arrache-genou, ce créateur d'informations, à contempler béat la grande coulée, la queue du dragon et, plus bas, Pointe Basse. Ou à n'y rien voir, perdu dans les nuages, machonnant une tranche de cake aux fruits. Une autre reste, rasée par le ballet des albatros fuligineux, au pied du cap vertical pendant qu'une autre encore prend le soleil sur la crête de l'Alouette à s'imprégner, de la grandeur des lieux, des Branloires et de la Hébé. Deux se trouvent en mer, et contemplent chacune, chargées d'émotions très différentes, deux faces de l'île. La première, encore verte d'été, admire avec espoir les falaises de cap vertical pendant que la seconde, qui a vécu le vent et l'hiver, pleure cette île qu'elle quitte alors qu'elle s'éloigne de Bus.
Une autre enfin, parcourt cette base, boule de vif parmi tant d'autres, d'autres couleurs, d'autres textures, les vôtres, peut être, les vôtres, sûrement, mais pas que, et effectue encore, toujours et pour toujours, ces trajets du quotidien, de ma chambre à la vie-com, de la vie-com au biomar, du biomar à la salle de sport, à la salle de musique, descend à la plage, monte au Branca, et parcourt l'île d'un point à un autre, se prend les bourrasques sur le plateau des pétrels, glisse, tombe, se rattrape et se relève dans la descente du 390, se réchauffe et se réjouit à l'abribus, attend fébrile de voir les îles froides, du haut du Mascarin, boit, et se mouille les pieds à chaque rivière… Dans mes traces, dans nos traces, se nourrissent de nos traces, ces liens mouvants, ces traces de nous, de la présence de notre absence. Ces parties de mon vif que j'ai laissées là bas, mais aussi ailleurs, que je sens vibrer par la force de leur réalité, me permettent d'avancer, elles me construisent, m'aident à me définir, encore, toujours. Je nourris ces liens à chaque nouvelle rencontre, à chaque regard qui brille quand je parle de notre île, elles reprennent corps, à travers moi, et à travers d'autres, trouvent de nouveaux hôtes, qui les imaginent. "Jusqu'à tes vieux jours", me dit mon père. "Jusqu'à tes vieux jours, tu feras briller les yeux de ceux à qui tu parleras de ton expérience. Tu as été chanceux de vivre ça... C'est comme raconter une guerre, on n'y échappe pas. Tu raconteras encore bien des fois cette expérience qui fut la tienne."

Revenir de Crozet, c'est devenir passeur, compteur, tisseur d'histoires, de souvenirs et de rêves...

Parfois les lignes vrillent un peu, et font des noeuds, ça arrive, me tirent en arrière, comme par les nuits de grand vent, quand je l'écoute taper sur mon toit, allongé dans mon lit, au chaud dans ma vie d'abrité de métropole, ou quand, le temps d'un rêve, je refais un transit... C'est la nostalgie, l'appel du vent. Mais la nostalgie n'appelle pas de malaise, et elle ne doit pas. La nostalgie doit réchauffer, en résonnance avec toutes ces parties de soi disséminées aux endroits importants, créature bienveillante, devant une photo, dans une situation qui nous tombe dessus, impromptue, une odeur, une texture du vent, une humidité portée qui nous projette vers une balise jetée quelque part loin, très loin de nous, inattendue, et surtout, ne jamais appeler le regret, juste l'accueillir, lui ovrir les bras, comme à un vieil ami perdu de vue. Crozet résonne fort en moi, plus fort que bien d'autres endroits. Les liens que j'ai tissés là-bas, les parts de mon vif que j'y ai laissé, ont formé une trame vibrante et multicolore, une multitudes de voix qui chantent. Parfois l'une d'entre elle entonne, seule, le chant d'un souvenir. Parfois c'est un chœur qui fait ressortir l'ensemble, l'expérience entière, et là, comme à chaque fois, j'y pense, et je souris. 

mercredi 12 novembre 2014

Réflexion post retour



Je sais qu'il s'en est écoulé, du temps, depuis mon dernier post sur ce blog…Mais j'ai décidé de ne pas laisser mourir ce blog ! Avec de nouveaux textes, quand je serai inspiré :)

Dans deux jours, soit le 14 Novembre, je célèbre le deuxième anniversaire de mon arrivée sur la base Alfred Faure avec mes camarades de la mission Cro50. Deux ans jour pour jour après que le Marion Dufresne ait tapé ce haut fond près de Pointe Basse… Déjà deux ans…

On me pose souvent la question : Quand est-ce qu'on en revient? Je pense que la durée du retour dépend de chacun, du degré et de la profondeur de l'expérience d'hivernage, et, évidemment, la place que l'on donne à cette expérience dans notre retour. Pour ma part, je pense qu'on ne revient jamais totalement. Des rêves, des voix, une odeur dans le vent humide, une impression sur la peau, une bourrasque froide qui me surprend, me renvoient toujours là bas. A la façon dont FitzChevalerie entend toujours la voix de son loup disparu, il me reste des traces de Crozet. Mais ce n'est plus une obsession, ce n'est plus ce chant entêtant qui occupait toutes mes pensées, non, maintenant c'est un murmure, un chuchotement à mon oreille, c'est un souvenir, qui a pris cette forme après le départ pour un nouveau voyage, un autre projet. Mon hivernage n'a pas disparu, mon expérience est toujours là. Mais la différence avec le temps où j'étais là bas, c'est qu'à l'époque, il était mon essence même, mon ancrage fondamental qui me définissait. Qu'est-ce que tu fais? Je suis Ecobio en hivernage à Crozet. Voilà, qui suffisait à me définir.  Aujourd'hui, il est un élément, fondamental, certes, mais parmi d'autres, de ce qui fait que je suis moi.

Voilà, s'il y avait un conseil que je donnerais pour ne pas trop trainer ses basques dans cette mélancolie du retour, c'est de repartir, ailleurs, dans une situation totalement différente, ou en tout cas de s'investir dans un autre projet. Mais je pense aussi qu'il est bon de goûter un peu à cette mélancolie. Après tout, on met fin à une histoire incroyable qui a duré un an, ce serait triste, voire même décevant, si on pouvait tourner la page si facilement ! Certains vous diront qu'ils l'ont vécu ainsi, que ça ne leur a fait ni chaud ni froid de quitter leur île australe. Je souris en écrivant ces mots parce que ce n'est pour moi pas envisageable, en tout cas pas avec ma propre expérience. Il y a quelque chose d'inachevé, une incompréhension ou une déception chez celui qui peut quitter ces lieux sans se retourner.
Au final, pour moi, accueillir cette tristesse, cette mélancolie, comme une expression physique de la fin de mon expérience d'hivernage était, finalement, presque rassurant, une sorte de masochisme rassurant me permettant de m'ancrer dans cette réalité que fut mon hivernage.  Mon corps gagné par le spleen était alors en adéquation avec mes pensées.

Pour marquer le coup, j'ai fait ce petit montage, en grande partie avec des vidéos que je n'ai pas utilisé à l'époque, un "shot de Crozet" à consommer vite, pour ressentir l'écho de l'ivresse que c'était d'être là bas. Est-ce que ça me manque? Oui. Est-ce que ce manque fait mal? Définitivement, non.


Joyeux 2ème Croziversaire, Cro 50, Bon vent ! 

mardi 13 août 2013

Le chionis... un oiseau aussi mystérieux qu'incontournable...

Oui, je sais, ça fait longtemps que je n'ai pas posté de nouvelles aventures par ici… Toutes mes confuses ! Bientôt bientôt, la suite de mes palpitantes et rocambolesques péripéties sur ce caillou perdu au bout du monde, mais en attendant, laissez moi vous parler… du Chionis…

Le chionis (prononcer kioniss), ou petit bec en fourreau, est un oiseau emblématique des îles subantarctiques, pas pour sa beauté ni sa rareté, mais simplement parce qu'il est partout, tout le temps… oui, c'est ça, on retient le chionis parce qu'il est chiant…

Le chionis, donc, est un petit oiseau blanc à bec gris noir, à l'œil pétillant d'intelligence, non, de malice, non plus…bref, à l'œil pétillant, noir, entouré d'une très seyante paupière rose. De la taille d'un pigeon, c'est l'oiseau le plus commun de notre caillou. Communément appelé pougeon par les hivernants, ou plus affectueusement le putain de chionis, il aime s'inviter sur toutes les photos, comme les mecs chiants en soirée, et dans tous les lieux incongrus où on ne l'attend jamais.

Le chionis est curieux, et est attiré en particulier par… par rien en particulier en fait, si le chionis voit un truc il tape dessus… Botte, bâton de marche, gilet de sauvetage, boîtier de Go Pro qui clignote, tout y passe, et même les zodiacs, si bien que lorsque le Léon Thévenin est venu secourir une partie des naufragés du Marion Dufresne, les chionis, attirés par la protubérante masse gonflée, et surtout nouvelle dans leur environnement, n'ont pas résisté au besoin de voir si elle était comestible, et y ont fait un joli trou… True Story…



Illustration de la réflexion du chionis : petit pas petit pas petit pas, truc inconnu par terre, goûter, *plume*, recracher, petit pas petit pas, truc brillant, taper, taper, *coup de bâton de marche*, piailler, faire un bond, recommencer le processus…

C'est tellement le chaos dans la tête de cette bestiole, qu'elle peut te suivre sur des kilomètres, sans but autre que taper du bec sur ta botte quant tu t'arrêtes… Dans sa tête, c'est comme un ordinateur qui redémarre toutes les 5 secondes, alors forcément, tout est une éternelle découverte à tâter du bec !

Il se déplace en courant, parfois sur une patte, parfois sur les deux quand il n'oublie pas de poser l'autre au sol, et vole en battant très rapidement des ailes. Son cri… n'est pas descriptible…

Le régime alimentaire du chionis est très varié, c'est un détritivore opportuniste, qui a une préférence certaine pour toutes les matières fécales et autres dégueulis… Il a ainsi développé une stratégie des plus habiles et des plus fourbes pour se nourrir du pestilentiel régurgitât de poisson dont les manchots royaux nourrissent leurs braillards de rejetons. Le chionis attend l'air de rien, en sifflotant, près d'un parent et de son petit, guettant le moment où le poussin va quémander sa bectance. Puis, dans un éclair de lucidité chaotique, le chionis va sauter sur la tête du poussin, qui, tout disturbé, ne va pas avaler la bouilli de poisson prédigérée régurgitée avec bienveillance par son parent, et qui va finir par terre, où le chionis exultant va pouvoir s'en délecter. C'est très simple en fait, le chionis a survécu en se nourrissant de ce que tous les autres ne voulaient pas, c'est-à-dire, tous les trucs dégoutants ! Proposez le choix à un chionis entre votre repas et une bouse d'éléphant de mer, il choisira la bouse sans hésiter !

Quand on observe cet oiseau, on a l'impression que l'évolution l'a posé là parce qu'elle ne savait pas trop où le mettre, alors pour rigoler elle l'a laissé sur ces îles… Grosse blague de la nature ou incroyable illustration de l'adaptation à ce milieu, ou les deux? Le chionis reste néanmoins incontournable du séjour crozetien, et il est bien plus marrant que les pigeons transgéniques qui peuplent nos villes…


Et pour citer une célèbre réplique des Tontons Flingueurs : " Les Chionis, ça ose tout, c'est même à ça qu'on les reconnait…"

Les photos de cet article ont aimablement été fournies par Tim Hot, Ornithologue barbu de la mission 50 :) !

dimanche 23 juin 2013

Happy mid-winter !

Du bout du monde, de mon caillou perdu dans l'Océan Indien, je vous souhaite à toutes et tous une...


lundi 6 mai 2013

Des photos !!

Et parce qu'aujourd'hui c'est Lundi, un deuxième article avec des photos !

Un albatros fuligineux

Un bébé Albatros fuligineux

Un Cormoran de Crozet

Un Ecobio et le lac Sans Nom

Un couple de manchots Macaronis, scpetique

Un couple de Manchots royaux, seuls au monde

Le Morne Rouge, un soir...

Un Pups, bébé otarie

Winter is coming...



Damned, déjà le mois de Mai… Et mon dernier article date de Janvier !!! Ahhhh, mais aaaahhhh !
Désolé, chères toutes, chers tous, mais le temps passe si vite ici, et avec une connexion internet en mousse, en plus d'un quotidien très prenant, il est difficile de trouver le temps de retranscrire mon vécu en article pour ce blog… Tiens, parlons du temps, c'est une idée…
Ici le temps file sans qu'on ne puisse ne serait-ce que l'apercevoir, et à peine a-t-on l'impression de s'en saisir, de lui attraper la manche pour qu'il s'arrête un peu, qu'il nous a filé entre les mains sans demander son reste.


              Au fil des semaines, des mois qui défilent, on se rend compte que l'année que l'on passe sur cette île n'est qu'un instant. Plus l'instant présent se dilate en nous, écrit Jean Claude Ameisen, devient durée, devient écho, réverbération, et plus notre représentation consciente peut gagner de nouvelles dimensions, et s'enrichir de mélanges de perceptions inconscientes et conscientes venant de nos différents sens, de nos souvenirs, d'émotions évoquées…
Vivre un hivernage, passer un an sur une île subantarctique, c'est enrichir, nourrir, jour après jour, saison après saison, s'imprégner davantage de la nature, de l'esprit du lieu, et de notre vécu, manip après manip, l'instant présent en nous, cet instant, cette étincelle, qui partira avec nous lorsqu'on repartira.
Aussi, il serait très difficile pour moi de vous raconter tout ce que j'ai vécu depuis mon dernier billet, la notion du temps, est, vous l'aurez compris, très floue ici. Je sais en détail tout ce que j'ai accompli ces derniers mois, mais dire si la manip à Bus de Février est plus éloignée dans le temps que celle à Pointe Basse en Mars n'est pas chose évidente, et cela me demande un réel effort. L'île garde tous les souvenirs vivants, et pendant longtemps.

La manip à Bus fut un moment mémorable, mais étant donné que je vous ai déjà parlé de cet endroit, je la sauterai pour vous parler de mes deux dernières manips ;) !
Pélèvement d'eau dans la Vallée de la Hébé

L'arbec de Bus, les pieds au bord de l'eau


             Début Mars, j'ai eu l'occasion de retourner à Pointe Basse, Mecque des ornithologues. A l'occasion de la campagne d'été, trois scientifiques y avaient élu domicile pour une durée d'un mois, y étudiant joyeusement le comportement du Grand Albatros. Ce site est toujours un émerveillement, et y séjourner est un réel plaisir, hormis peut être les duvets, qui, après quatre mois d'usage intensif, sentaient, il faut l'avouer, le coyote mort abandonné sous un meuble… Mais cela fait partie de la vie en Arbec ! Retour donc sur le Champ des Albatros, et surtout à Jardin Japonais, avec pour guide Thibaut, manchologue 394 qui y a étudié les manchots macaronis et sauteurs depuis son arrivée ! Récolte de lichens sur la plage de JJap, observation des jeunes otaries, présentes par centaines, et toujours, s'extasier devant la beauté du lieu ! :)

  
Jardin Japonais

Un couple de Manchots Macaronis


          Puis le retour du Marion Dufresne ! Et oui, OP1 est déjà là ! C'est fou… à la dernière OP, nous arrivions, encore verts d'été, en catastrophe, sur une OP d'ampleur sans commune mesure sur l'île de la Possession, et sans comparaison possible avec cette OP1… Que ce soit au nombre de caisses déchargées, de personnes sur base, le souvenir de notre arrivée a fait que nous étions prêts à bien plus ! Et cette fois, nous n'étions plus les arrivants, mais bien les autochtones sauvages, même si pas si sauvages que ça, quoique… Une OP et puis s'en va, le Marduf a quitté les eaux Crozetiennes, emmenant avec lui des compagnons d'aventure qui vivaient avec nous depuis Novembre. L'île de la Possession, Archipel de Crozet, Terres Australes et Antarctiques Françaises, est passée à 23 habitants, effectif final à passer l'hiver…

              Avril, direction la Pérouse ! La partie la plus sauvage de l'île, et à mon sens celle qui se mérite le plus si on prend en compte la difficulté du transit pour s'y rendre ! Une petite cabane, sans électricité, perdue au milieu de la vallée des Géants, le cadre est planté. D'un côté, l'œil du Mascarin, point culminant de l'île, du haut de ses 934 mètres, de l'autre, la Tour Blanche, édifice naturel, reste d'un dôme de roche gris-blanche rappelant une tour brisée qui aurait pu sortir d'un esprit Tolkienesque. Au fond de la vallée, de vastes étendues rappelant un oued, et à voir les sillons à flanc de montagne, en période de crue, il ne vaut mieux pas être dans les parages !Au programme, vous commencez à connaître, relevé de lichens, et prélèvements d'eau pour recherche de diatomées.

L'arche de la Pérouse
Le Mascarin, 930 et quelques mètres, point culminant de l'île

La Tour Blanche, l'Isengard écroulée !
Voilà voilà, c'est succinct, mais ce sont des petites nouvelles du bout du monde ! je n'ai pas été mangé par mes escargots, ni par les manchots, ni par les otaries… Quoi d'autre, je mange bien, ne suis pas devenu obèse, ni anorexique… Tout va bien par ici ;p ! Par contre le temps refroidit ici, pendant qu'il se réchauffe en métropole ! Eh oui, ici c'est l'hiver ! Winter is coming...

mardi 29 janvier 2013

Manip' Grand Albatros !


20/01, 16h38, à mon bureau.
Aïe, j'ai chaud au visage... Faut dire, il fait vraiment beau aujourd'hui, et je reviens d'une super manip ornithologues jouent dans une autre dimension dans ce qui est du contact aux animaux de l'île ! Faut dire aussi que ce n'est pas mon Notodiscus qui pourrait concurrencer les grands oiseaux dans ce qu'il renvoie ! (Mais je les aime quand même... ;p)

La bête...

Bref, j'ai passé la matinée avec Tim', ornitho de ma mission, et Philippe, le chef garage, à contrôler les bagues des albatros sur nid. C'est une manip' très sympa, et très impressionnante ! Il faut savoir que le grand albatros est un oiseau pouvant atteindre 3m50 d'envergure pour une douzaine de kilos, que son bec fait une vingtaine de centimètre... et qu'il s'en sert ! Oui, voilà, son bec est une dague... Une dague maniée par une grosse dinde de 12 kilos, oui, voilà...


Pour se prémunir contre cette arme, le manipeur de l'extrême équipe à sa main gauche le [Tuyau de PVC] qui servira à protéger sa main et son avant bras des coups de becs rageurs de l'oiseau (même si le susdit oiseau comprend bien vite qu'au dessus du tuyau c'est mieux pour picorer, que ça ne fait pas toc toc quand il attaque et que ça fait brailler l'humain...), et à sa main droite le [Piquet de bois pointu et rongé] qui servira à protéger le haut du bras, voire le visage quand on se rapproche beaucoup de l'oiseau, lors de la manip'(le piquet est pointu parce qu'on le plante dans le sol à côté du nid. il porte un numéro qui permet à l'ornitho de faire un suivi d'occupation des nids d'année en année). Le visage étant bien sûr protégé par des [Lunettes de protection anti-buée]. (hommage à mes Ventconteurs ;p)



La manip' en soi est assez simple. Le but étant d'aller lire les bagues aux pattes de l'oiseau couché sur son nid, et d'évaluer sa réaction à notre approche, on avance doucement, face à l'oiseau, jusqu'à dix mètres de lui environ, distance où l'on va progresser à genoux. Là, il peut commencer à râler, à claquer de son gros bec en secouant la tête, et, une fois que l'on a avancé le bras pour soulever doucement ses plumes et lire la bague, il peut commencer à attaquer, ou pas... Les oiseaux ont chacun leur caractère, l'un va te gueuler dessus dès vingt mètres de distance et va te démonter le bras parce que oui, il aura très vite compris qu'il peut taper plus haut que le tube en PVC, et donc te faire mal, le fourbe... l'autre ne va rien dire, te regarder avec curiosité en levant la tête pendant que tu lis sa bague... Mes préférés ? Ceux qui se lèvent doucement pour voir ce qui se passe, te laissant voir leurs bagues sans problème. :)

C'est une très belle manip' sur un oiseau incroyable, et avec une journée pareille, c'était le must ! :D




 
Le seigneur du ciel blanc,
sur son nid de paille...
L'armure de PVC grise,
sur un bras couvert de bleus...





lundi 21 janvier 2013

Pointe Basse !


09 Janvier, 18h22, Table de l'arbec cuisine, Pointe Basse.
Damned, il s'en est passé des choses depuis que j'ai ouvert ce satané carnet de route pour la dernière fois (et accessoirement depuis mon dernier billet sur ce blog...). Le nouvel an est passé, j'ai eu 24 ans, un Leatherman...
Et autre fait notable, j'ai quitté la base lundi 7 vers 7h30 pour ma première manip' à Pointe Basse (voir sur la carte)! En gros, Pointe Basse est le repère sacré des ornithologues de Crozet, leur sorte de Lourdes à eux où ils viennent se faire bénir pas les grands albatros, les albatros fuligineux à dos sombre et autres skuas... Dans cette région de l'île, ils étudient les grands albas, les gorfous macaronis au jardin japonais (j'y reviendrai), les fameux fulis à dos sombres, et les otaries !
Notodiscus hookeri :)
Mais moi, je ne me suis pas rendu là bas pour étudier ces descendants de dinosaures, bien que toutes ces bestioles soient particulièrement sympa à voir sur le terrain, et si près de l'arbec ! (arbec: mot crozetien désignant les trois cabanes de l'île servant de logement temporaire lors de manip' scientifique sur le terrain. Ne pas confondre avec la cabane, qui est un mot typique de kerguelen...) Non, moi, si je suis allé à Pointe Basse... c'est pour ramasser des escargots ! Je vois rire dans le fond là-bas, hein ! Ceci me donne l'occasion de vous présenter un de mes principaux sujets d'étude sur mon île perdue dans l'Océan Indien, j'ai nommé le Notodiscus Hookeri.
Ce petit escargot terrestre (coquille allant de 5 à 7mm de diamètre pour un adulte) à la coquille foncée allant du brun au noir est une espèce endémique des îles subantarctiques. On la trouve sur les îles Crozet, Kerguelen, Heard et Prince Edward. Depuis 2007, il est étudié sur l'île de la Possession dans le cadre du programme pour lequel je travaille. Les études sur le Notodiscus sont très variées et visent, entre autres, à connaître et à comprendre le comportement du Notodiscus vis à vis de températures élevées et basses, étudier ses habitudes alimentaires, son cycle de vie, de ponte, ainsi qu'une particularité observée chez cette espèce, à savoir une différence de structure de la coquille en fonction du milieu dans lequel va vivre l'escargot.
C'est donc cette toute petite créature qui constitue, cette année, le gros de mon travail d'hivernage, et c'est entre autres pour cette raison que j'ai effectué ce séjour à Pointe basse !
Carte du transit. 1: Arbec de Pointe Basse, 2: Le champ des Albatros, 3: Jardin Japonais

Le transit pour s'y rendre? Traversez le Mordor, passez le Rohan, perdez vos poumons en haut du col 600, et vous y êtes ! Le transit en lui même est magnifique, la vue et la traversée de la Vallée des Branloires, dont je vous parlais dans le billet contant mon passage à Bus, puis celle de l'Hébé, est simplement incroyable, avec ces collines herbeuses, les rivières et les monts que l'on gravit pour passer d'une vallée à l'autre... On se sent minuscules dans ces espaces que nous sommes les seuls privilégiés à arpenter, et reconnaissant à la Terre de nous offrir un tel spectacle.

La Vallée des Branloires


Prélèvement d'eau sur le champ des Albatros 


Une fois arrivé sur place, ça ne s'arrête pas, c'est un enchaînement de claques naturelles et visuelles ! Premier jour, j'effectue une autres des tâches que j'ai à effectuer pendant l'été, des prélèvements de diatomées, algues microscopiques vivant dans l'eau des mares, lacs et rivières, et très peu connues sur mon île. C'est avec un grand plaisir que je suis donc aller tremper mes bras dans les mares du champ des albatros, sous le regard curieux et les claquements de bec des susdits Grands Albatros, présents dans les parages en grands nombres de couples pour parader :)! Au bout du champ des albas, vue sur les Moines et sur la Roche percée... Assez étrange de se trouver là, de voir ce paysage de la terre sachant qu'il y a quelques mois je découvrais la Possession à travers ce même paysage depuis le pont du Marion Dufresne, duquel Bart, scientifique belge pour lequel je fais les prélèvements de diatomées, me montrait fébrile un lieu qu'il attendait avec impatience d'échantillonner, sans savoir qu'un évènement fâcheux le contraindrait, lui et tous les campagnards d'été, à quitter l'île quelques semaines plus tard. 
Manchots macaronis !
Ce lieu si particulier, c'est le Jardin Japonais ! Pourquoi ce nom me direz-vous? C'est un vaste éboulement d'un flanc de montagne qui a ici façonné le paysage de façon unique, en un incroyable assemblage de mares d'eau douces à quelques mètres de la mer, de blocs rocheux tantôt nus, tantôt couverts de blechnum (fougère très répandue ici), acaena et poas en tous genres, et tout ça dans l'ombre des falaises du Cap Vertical. Cet ensemble donne au lieu un aspect de jardin zen, d'où son nom de jardin japonais. C'est également le lieu de vie d'une faune exceptionnelle, avec la plus grande colonie de manchots royaux de la Possession, mais aussi des colonies de Manchots Macaronies, de Papous sauteurs et d'otaries ! En fait, le Jardin Japonais, c'est l'idée qu'on pourrait se faire de Jurassique Parc... A tout moment, en déambulant aux milieux des rochers couverts de plantes, on pourrait voir passer l'ombre d'un pterodactyle, qu'on trouverait ça normal !
Jardin Japonais !





     




A l'ombre du Vertical,
Respirer, se sentir petit,
Au milieu des héritiers de dinosaures...
Cette île est un assemblage de petits mondes, chaque excursion, chaque manip', me le fait sentir davantage...

Parlons de l'arbec, pour finir ! Ici à Pointe Basse, l'arbec est un double chalet en bois, une chambre, une salle de vie-cuisine, une terrasse en bois, deux caissons, l'un pour faire ses courses en nourriture, l'autre pour du stockage et éventuellement loger deux personnes de plus, bienvenue ! Le garde manger permettrait de tenir un siège d'une quinzaine d'années dans la bonne humeur en mangeant du mont-blanc et du riz au lait...